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LES HISTOIRES DU MBONGUI
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LES HISTOIRES DU MBONGUI
  • L'association LES HISTOIRES DU MBONGUI a pour objectif de promouvoir les cultures des communautés noires de France, notamment à travers la réalisation de films. Elle souhaite apporter un regard sincère et pertinent sur les réalités de la diaspora africaine
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12 septembre 2008

Laurentine MILEBO et Edouard CARRION aux Dépêches de Brazzaville

Laurentine Milebo, et Edouard Carrion, réalisateur et coscénariste, ont rendu visite aux Dépêches de Brazzaville,

Siège: Les Manguiers, 84 avenue Paul Doumer, Brazzaville, République du Congo - Bureaux en Europe: 38 rue Vaneau, Paris 7ème, France - Bureaux aux Etats-Unis : 1250 24th Street, Washington DC 20037 - Tél. : + 33 (1) 45 51 09 80 - Fax : + 33 (1) 45 51 03 06 - Site Internet : www.brazzaville-adiac.com - E.mail : redaction@brazzaville-adiac.com

Dix jours après la sortie de leur film, La Rivale, l'actrice congolaise et coscénariste du film, Laurentine Milebo, et Edouard Carrion, réalisateur et coscénariste, ont rendu visite aux Dépêches de Brazzaville, à la Galerie Congo. Devenus très complices lors de projets artistiques et militants, ils sont revenus sur l'aventure humaine du tournage de ce long métrage et ont donné leurs points de vue sur la situation du cinéma africain

Les Dépêches de Brazzaville : La Rivale est sorti il y a maintenant dix jours. Pouvez-vous raconter à nos lecteurs l'histoire de ce film ?

Edouard Carrion : Avant de laisser la parole à Laurentine, je voudrais juste revenir sur la genèse de cette aventure humaine qu'a été le tournage de La Rivale. Dans le cadre d'un atelier vidéo que j'animais, j'ai réalisé avec une jeune fille un court métrage qui se déroulait au sein de la communauté africaine. Cette jeune fille avait démarché une société de production africaine située à Paris, qui nous a demandé de réaliser une comédie avec des personnages blancs et noirs. Dans le même esprit que le court métrage, qui leur avait beaucoup plu. Je me suis alors orienté vers une adaptation d'une pièce de Molière, George Dandin ou le marié confondu, pièce méconnue mais assez drôle, dont les situations étaient tout à fait transposables. Nous disposions d'un petit budget. Cela m'a permis de découvrir l'univers de la cassette et du DVD du « ghetto », comme ils disent. Je me suis lancé dans le casting, et j'ai rencontré Mme Laurentine Milebo. J'étais alors un peu désespéré car je n'arrivais pas à trouver une actrice de sa génération. À chaque fois, il manquait quelque chose, il y avait trop de réserve chez les actrices. Avec Laurentine, nous avons travaillé une scène du film, et j'ai senti tout de suite chez elle cette faculté de s'approprier un personnage, une réelle intelligence instinctive... Elle arrivait à aller plus loin dans la démarche que je lui demandais. Un vrai bonheur.

LDB : Le coup de foudre ?

E.C : Oui, un vrai coup de foudre professionnel... Ensuite, quinze jours avant le début du tournage du Dandin, le producteur m'appelle pour m'annoncer qu'il n'a plus l'argent pour produire le film, et le projet ne s'est pas fait. Mais l'essentiel était que nous nous étions rencontrés, Laurentine et moi. J'avais le sentiment qu'elle n'avait pas eu jusqu'ici de rôles qui pouvaient s'inscrire dans des personnages différents de sa composition de femmes d'origine africaine. C'est-à-dire qu'on ne lui donnait que des rôles de nounou ou de femme expulsée d'un squat... Et je trouvais dramatique qu'en France, on ne puisse pas donner à un Noir un rôle de médecin ou de quelqu'un qui ait une vie normale et qu'il soit toujours rattrapé par ses origines. Et un jour, alors que nous étions assis à une terrasse de café, Laurentine m'a dit : « Édouard, j'ai une histoire à te raconter. » Je laisse maintenant la parole à Laurentine.

Laurentine Milebo : Au début, nous voulions aborder différents thèmes, comme l'infidélité de l'homme ou l'influence de ses parents même quand il est adulte. Cela devait être une pièce de théâtre. Nous en avons parlé et le projet est né. Nous avons décidé de l'adapter au cinéma, malgré mes doutes sur son aboutissement, mais Édouard a insisté. Je l'en remercie, car à l'époque, les gens à qui j'en parlais doutaient du fait que l'on puisse faire un film africain par nous-mêmes, avec des protagonistes valorisés qui tranchent avec le rôle de femme de ménage, par exemple. Nous avons donc beaucoup travaillé ensemble sur l'écriture du scénario de cette histoire simple qui peut arriver à beaucoup de gens. Nous pensions écrire une fiction, et nous nous sommes rendu compte que beaucoup de gens connaissaient des proches qui avaient vécu cette situation... C'est donc une histoire qui touche les gens. Mon scénario de départ était court, cinq ou six pages. Édouard a étoffé l'ensemble.

E.C : Laurentine a un réel talent pour les dialogues, j'y ai apporté des situations. En fait, nous nous sommes aperçu que nous étions complémentaires. J'ai voulu apporter à l'histoire de Laurentine une narration influencée par le cinéma américain. Cela met en place un style narratif efficace, universel, qui touche tout le monde, même s'il est parfois formaté. Donc un schéma simple avec une situation de départ, un premier incident déclencheur, un second puis un climax... Pour avoir une discipline d'écriture, de structure narrative. Cela permet au public de retrouver une certaine familiarité avec le film. Cela passait également par une recherche de l'universalité pour que Blancs et Noirs se retrouvent dans ce film. On a donc limité les private jokes trop africaines que le public blanc n'aurait pas pu comprendre. Car nous tenions à ce que ce film soit populaire, qu'il touche tout le monde, aussi bien la mama africaine que le spectateur blanc. Des professionnels me disent parfois que par certains aspects, c'est un film convenu. Nous n'avions pas envie de faire un film d'auteur ou un film élitiste, mais un film passerelle.

LDB : La Rivale va sortir en DVD uniquement car les diffuseurs n'ont pas répondu présents. Comment faire pour que le cinéma africain trouve sa place et sorte de l'ornière ?

E.C : D'abord en obtenant de bons chiffres avec les ventes de DVD pour montrer aux producteurs et diffuseurs que c'est viable économiquement. Il faut attirer l'attention des professionnels. D'autre part, par l'investissement humain de l'équipe du film. Pour La Rivale, nous avons pu aboutir car toute l'équipe a mouillé sa chemise, les acteurs ont donné de leur personne sur le tournage mais aussi pour la promotion. Il y avait un vrai esprit de troupe. Car il faut, pour des projets comme celui-ci que tous soient empreints de la même démarche militante. Et pour mes prochains films, une des conditions du choix des comédiens sera de sentir chez eux une implication forte. Le talent est important, mais il faut aussi que tous soient concernés par la démarche politique.

L.M : Il faut aussi que les acteurs africains sortent des stéréotypes de l'Africain qui fait le clown, avec les yeux grand ouverts et les joues gonflées. Les gens en ont marre, ils veulent autre chose. Il faut qu'ils soient plus professionnels. Sur La Rivale, le réalisateur nous a fait travailler avec un coach. Cela m'a beaucoup servi... à sortir de la caricature.

LDB : Le cinéma africain n'a-t-il pas besoin également du militantisme du public ? C'est-à-dire que le public noir et maghrébin se dise qu'il va voir ce film pour le soutenir car il s'adresse à lui...

E.C : Moi je crois surtout à la force narrative, à la force de l'écriture. C'est la clé pour toucher tous les publics. C'est comme ça qu'on touchera les gens dans le temps. Il faut que le cinéma africain imprime sa marque comme l'ont fait les cinémas asiatique et indien, qui ont su se forger une identité bien à eux. Il y a bien ce qu'on appelle le cinéma « calebasse », mais la jeune génération a du mal à s'y reconnaître. Elle trouve cela un peu ringard, un peu trop lent. Il faut maintenant que les jeunes s'approprient leur langage, leur style de narration avec pour démarche d'intéresser la terre entière. Je pense qu'ensuite le cinéma trouvera sa place et un public jeune, j'en suis sûr. Il est vrai qu'aujourd'hui la concurrence est rude. Les codes font qu'un adolescent va aller plus facilement voir le dernier James Bond que le dernier film africain. C'est la société qui veut ça, par son formatage. Mais je le répète, je pense vraiment que ça viendra.

LDB : Comment expliquer que l'acteur le plus populaire au sein de la communauté noire soit l'Américain Denzel Washington et non le Burkinabo-Malien Sotigui Kouyaté (Little Sénégal, La Genèse) ou le Franco-Béninois Djimon Hounsou (Gladiator, Blood Diamond) ?

E.C : Je dirais par le manque de curiosité. Aujourd'hui le problème des jeunes issus de la diaspora est qu'ils sont formatés dans leur consommation culturelle, ils n'ont pas la curiosité d'ouvrir les portes fermées.

L.M : Quand je parlais du tournage de La Rivale à mes fils, ils ne voulaient même pas faire de figuration, car ils pensaient que cela serait encore un film avec des rôles basiques pour les Africains. Mais le jour de la présentation au Musée Dapper, j'ai vu la fierté dans leurs yeux.

LDB : Avez-vous des projets communs ?

L.M : J'aimerai beaucoup que l'on puisse projeter La Rivale à Brazzaville. C'est mon grand souhait. J'ai été très touchée car Édouard a approché l'ambassade du Congo. Je lui ai souvent dit que je n'étais pas très connue dans mon pays. Édouard en a parlé à l'attachée culturelle de l'ambassade, Gisèle Buanga-Kalou, qui a été formidable et s'est démenée pour que cela puisse se faire. Pour moi, c'était très important et très émouvant. Je veux vraiment remercier Édouard pour ça aussi.

E.C : Je trouvais important, symboliquement, que le film soit projeté là-bas. Avant qu'on puisse le projeter à Brazzaville, nous voulons d'ailleurs passer un message : nous avons besoin d'une aide financière pour pouvoir présenter ce film au public congolais. Il nous tient à cœur de pouvoir le faire à Brazza, car ce film est destiné, entre autres, au public congolais. Cela serait vraiment la cerise sur le gâteau...

L.M : Au Musée Dapper, c'était déjà très émouvant, le public participait, vibrait... Alors à Brazzaville, cela pourrait être vraiment génial, et source de grande fierté. Pour revenir à nos projets communs, il y en aura, c'est sûr et certain. Pour l'instant, je répète une pièce d'Ousmane Sembene, Les Bouts de bois de Dieu, adaptée et mise en scène par le Congolais Hugues-Serge Limbvani. Elle raconte l'histoire émouvante des cheminots du Dakar-Koulikou, qui se révoltent contre leurs conditions de travail en 1947-1948. C'est une histoire qui me tient très à cœur. C'est une œuvre drôle et touchante. Elle se jouera du 25 novembre au 20 décembre 2008 au théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie. Après, nous aurons tout le loisir de nous remettre au travail avec Édouard. On dit toujours qu'on n'arrête pas une équipe qui gagne.

E.C : J'espère vraiment que La Rivale va enclencher quelque chose et qu'il y aura un prochain film. 

Camille Delourme

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